Théorie de la Gestion Mentale

appliquée à la lecture

France PAGES

 

Depuis quelques années, des orthophonistes, dont le nombre ne cesse de grandir, trouvent dans les travaux d’Antoine de la Garanderie, un corpus théorique et pratique adapté de la rééducation. L’objet de cet article est de montrer comment la Gestion Mentale donne des moyens d’action au rééducateur comme au patient parce qu’elle apporte des informations pertinentes sur les raisons du problème, et autorise ainsi des choix thérapeutiques finement adaptés  à la situation. Nous commencerons donc par montrer comment on obtient ces informations et ce qu’elles sont. Puis nous décrirons une démarche de rééducation éclairée par la connaissance de l’activité mentale d’un sujet confronté à la difficulté de plier sa pensée à l’apprentissage de la lecture.

Définissons, brièvement la Gestion Mentale. Elle est pour l’opinion publique une nouvelle méthode pédagogique visant à la réussite scolaire. Elle apparaît ainsi comme une construction extérieure au maître et à l’élève, comme une forme d’enseignement sécurisante et efficace, avec des modèles originaux pour « apprendre à apprendre ». il y a là, en effet une démarche de travail qui donne les moyens de réussir, mais contrairement à l’idée admise, cette nouvelle adaptation de l’élève à ses tâches n’es pas le résultat de l’application d’une méthode extérieur à lui-même. C’est avant tout prise de conscience d’une intériorité et travail mental sous cet éclairage.

En fait, une vision constructive de la Gestion Mentale empêche de comprendre qu’il y a là un nouveau regard sur l’être humain. Selon A. de la Garanderie, sa recherche traite « d’une psychologie de la vie mentale dans la perspective d’une aide pédagogique ». Le sens profond des modèles méthodologiques proposés, la raison de leur fécondité, n’existent que parce qu’ils sont le résultat d’un choix délibéré d’une personne ayant pris conscience des exigences de son fonctionnement. L’apprenant, par l’introspection, découvre les modalités de sa pensée au travail, en évalue la pertinence et se fondant sur la découverte de ressources ignorées jusque-là, s’y adapte pour promouvoir une démarche mentale efficace.

Comme l’a écrit A. de la Garanderie : « c’est en donnant aux élèves l’intelligence de leurs moyens qu’on leur donne les moyens de leur intelligence. »

Cette visée de conscientisation des itinéraires de la pensée est une aide précieuse pour le thérapeute qui peut alors proposer des méthodes (par exemple des méthodes de lecture) en fonction des besoins et des potentialités du patient, enfant ou adulte. C’est donc ce que nous allons tenter de démontrer.

CONNAITRE LES RESSOURCES DU SUJET

PAR LE PROFIL PEDAGOGIQUE

En dépit de son jeune âge, l’enfant a déjà pris des habitudes mentales qui le caractérisent et conditionnent ses réussites comme ses échecs. La recherche de ses processus familiers de pensée permet d’établir un profil pédagogique qui servira de guide tout au long de l’apprentissage ou de la rééducation. Ce travail de reconnaissance des moyens mentaux que se donne l’enfant est un préalable nécessaire à toute prise en charge orthophonique. Toutefois il est aussi en lui-même acte thérapeutique puisqu’il engage l’enfant dans une démarche de reconnaissance de son identité cognitive qui lui restitue un pouvoir d’action et même l’entraîne dans une nouvelle dynamique de vie.

Par le profil nous recherchons à identifier les mouvements de la pensée s’appliquant à des objets scolaires ou non. Ce ne sont pas les structures opératoires elles-mêmes qui sont visées, mais les actes et les contenus de pensée qui leur permettent d’exister.

Des questions sont donc posées pour aider l’enfant à quitter le domaine extrin-sèque du résultat pour celui, intrinsèque, des évocations par lesquelles il reprend à sa manière les informations reçues.

Ces questions explorent des champs tels que l’expérience quotidienne, les acquisitions scolaires, le terrain du raisonnement et celui de la créativité. Une règle impérative est de commencer par interroger l’enfant sur ce qu’il aime faire, ce qu’il réussit, afin qu’il comprenne très vite qu’on ne veut pas recenser ses manques comme d’un bilan traditionnel, mais au contraire l’aider à trouver les conditions de son succès. Il apprendra que ce qui se passe dans sa tête en cas de réussite peut-être transposé aux situations d’échec avec bonheur, mais encore que bien souvent l’activité mentale à l’origine de sa performance, paradoxalement, explique son échec. Un exemple illustre bien ce propos, c’est celui du petit Thomas. Merveilleux peintre incapable d’écrire un mot correctement, il dessinait toujours dans sa tête l’objet lui même à la place de l’image du mot désignant l’objet : la raison de son talent (habitude mentale de reproduire seulement la réalité pour pouvoir la dessiner) expliquait son handicap (incapacité d’évoquer le mot écrit pour l’orthographier correctement).

LA REEDUCATION DANS SON RAPPORT AU PROFIL PEDAGOGIQUE

Apprendre à évoquer

Les milliers de profils pédagogiques dont peut se prévaloir la pratique de la Gestion mentale ont mis en lumière la présence de l’acte majeur de la pensée : L’EVOCATION

Toute rééducation se construit sur la reconnaissance ou l’apprentissage de cette procédure. L’enfant qui depuis ses premiers mois absorbe l’univers en cherchant à se le représenter dans sa tête, apprend sans le savoir à évoquer. Le travail de l’orthophoniste-gestologue est de donner à l’enfant les moyens d’user volontairement de ce pouvoir. Elle lui fait découvrir par des mises en situation, qu’il ne suffit pas de voir, d’entendre, de sentir, de toucher, de goûter pour garder en soi les informations perçues, mais qu’il lui faut nécessairement les reprendre sous forme d’images mentales ou d’un discours intérieur.

Pour que cette évocation soit correctement dirigée vers la tâche, il faut qu’elle soit orientée à le faire par l’intermédiaire de ce que nous nommons en Gestion mentale un PROJET. Ce préalable est  essentiel car il induit les procédures mentales nécessaires au traitement de l’information en fonction des objectifs.

- Projet de faire exister mentalement le perçu en situation d’ATTENTION.

- Projet d’utilisation ultérieure des évoqués dans le geste mental de MEMORISATION.

- Projet de confronter des objets perçus à des objets évoqués pour en dégager des rapports logiques dans le geste mental de COMPREHENSION.

- Projet de faire retour en évocation sur ses acquis pour pouvoir comprendre dans le geste mental de la REFLEXION.

- Projet de percevoir l’univers et les œuvres humaines pour en dégager les aspects inédits dans le geste mental de l’IMAGINATION.

En ce qui concerne la lecture, l’apprenti lecteur doit se mettre en projet d’initier les gestes mentaux spécifiques à la mémorisation d’une forme et à la compréhension d’un sens. Nous verrons comment, parfois, ces projets différents peuvent s’inhiber réciproquement.

Voici concrètement ce que représente cette démarche :

Tout d’abord, mettre le sujet en PROJET en lui demandant de regarder un bel objet, une reproduction de peinture ou le paysage par la fenêtre, etc, pour les faire exister dans sa tête sous forme d’images ou d’un discours intérieur.

Puis dans le prolongement de la PERCEPTION, donner un temps d’EVOCATION pour reprendre mentalement ce qui vient d’être perçu. Il faut veiller à ne pas garder les yeux braqués sur l’objet perçu, l’évocation ne pouvant s’établir qu’en dehors de la perception.

Il est souvent utile d’entraîner la personne à effectuer des VA et VIENT entre le perçu et les représentations mentales correspondantes pour arriver à plus de fidélité.

Le même travail d’entraînement à l’évocation doit se faire à partir de perceptions sonores : musiques, poèmes, histoires, bruitages.

Connaître la nature, les caractéristiques, le contenu des évocations

Ces exercices sont suivis d’un dialogue pédagogique qui cherche à préciser davantage les constantes de l’évocation.

Deux grandes familles se distinguent régulièrement : la famille des sujets qui reprennent mentalement les informations en images et la famille de ceux qui ont une reprise verbale ou sonore. Une variante consiste à mixer les deux, tout en conservant un ordre privilégié du son à l’image ou de l’image au son. Ajoutons à ces deux modes de procédure, le besoin pour certains d’un ressenti kinesthésique préalable, inducteur d’évocations visuelles ou auditives.

Cette connaissance capitale est complétée par des données subsidiaires qui vont définir les caractéristiques de l’évocation. En effet elle peut être nette-floue, statique-dynamique, pauvre-détaillée, fugitive-continue, couleur-noir et blanc… qualités sensibles dont nous verrons plus loin l’impact sur les problèmes rencontrés par la personne et les moyens de leur dépassement. D’autres renseignements renvoient au rapport fondamental qui lie le sujet au monde. Car des images mentales, tantôt globales ou successives, traitées verticalement ou horizontalement, tantôt désordonnées ou ordonnées, etc. signent une pensée générée plus particulièrement par l’une ou l’autre des deux dimensions d’espace ou de temps qui structurent le réel.

Si le patient découvre avec jubilation son pouvoir de se donner des images mentales audiovisuelles, il manifeste le même intérêt à distinguer des contenus d’évocations.

- Certains ne voient ou ne se commentent que les données de réalité : les choses, les personnes, les gestes, les scènes… ils réentendent les bruits, la musique, les critères physiques de la parole (la hauteur tonale, le timbre, l’intonation, la prosodie..)

ils sont en paramètre 1, P1, pour utiliser une terminologie Gestion mentale.

- D’autres sont en paramètre 2, P2, parce qu’ils voient des mots écrits, des chiffres, des symboles ou/et se répètent les mots, voire s’épellent les lettres des mots.

- Une autre catégorie,ceux du paramètre 3 , P3, cherchent à extraire du perçu le ou les rapports logiques susceptibles de les conforter dans leur compréhension.

- Les derniers recherchent le ou les rapports inédits afin de satisfaire leur appétit créatif, ils sont en paramètre 4, P4.

- L’idéal est d’avoir une mobilité d’esprit suffisante pour balayer tous les paramètres en fonction de la tâche demandée car ces paramètres sont à la fois spécifiques et complémentaires dans leur réciprocité.

Mais dans nos cabinets d’orthophonistes, nous rencontrons la plupart du temps deux types de problèmes chez les enfants : d’une part il y a ceux qui n’exploitent qu’un seul paramètre (le petit Thomas dont nous parlions à la page 3, n’utilisant que son P1), d’où l’inaptitude à gérer l’ensemble des conditions nécessaire à la lecture ou à l’écriture, d’autre part il y ceux qui, se conformant au mode de présentation du message, s’ingénient à traiter les informations scolaires verbalement et non pas visuellement comme leur fonctionnement habituel le leur commanderait. Nous verrons dans la description pratique qui va suivre comme cette question paramétrique est capitale pour comprendre autrement les inaptitudes et organiser la réponse thérapeutique.

Rééduquer

Fort de ces informations, le rééducateur va suivre pas à pas des itinéraires déterminés par le profil pédagogique et non par des convictions intimes sur la valeur de telle ou telle méthode de rééducation. Cet itinéraire personnalisé doit aussi se subordonner aux exigences de la tâche, en l’occurrence se plier à la nature linéaire de l’acte de lire du français qui, aussi bien pour un visuel privilégiant spontanément l’image globale que pour un auditif préférant l’analyse, impose un ordre de lecture allant du phonème à la syllabe, puis au mot et enfin à la phrase.

Ce cheminement suppose en permanence la présence active de deux projets précédemment définis par les gestes mentaux de mémorisation et de compréhension. Il s’agit d’observer des formes pour les retenir et d’associer ces formes nouvelles à des concepts pour les comprendre. Ce travail mental est en rupture avec l’expérience ordinaire du non lecteur car il lui impose d’appliquer un mot parlé à une forme écrite conventionnelle et non plus seulement à un objet de réalité significatif en lui-même. Il y a donc là trois éléments à relier pour assurer un plein apprentissage : le signe formel écrit, le mot parlé, les évoqués qui donnaient sens à ce mot parlé et qui désormais doivent aussi se porter sur le signe écrit. La grande majorité des dyslexiques, voire des enfants sans problèmes, se trouvent dans l’impossibilité de gérer en même temps une telle diversité de tâches. On les aidera beaucoup en sériant les problèmes afin de leur permettre d’adapter de projets successifs aux différentes phrases de l’apprentissage :

Il est clair que la finalité de ce travail est d’obtenir le lien "mot écrit  »  évoqué de sens", sans aucun intermédiaire.

En suivant cet ordre nous sommes amenés à distinguer l‘apprentissage technique concernant les formes du but final qu’est l’accès au sens. Cet apprentissage ne peut pas faire l’impasse sur la lecture à voix haute si importante pour éduquer l’oreille aux sons (préparation à l’orthographe), pas plus que d’une certaine répétition mécanique qui permet la reconnaissance automatique des formes, libérant ainsi l’apprenti-lecteur d’une phrase technique ennuyeuse au profit d’une lecture de sens. Nous sommes loin de la lecture à voix haute vue comme un instrument de contrôle, et son importance se révèle encore plus pour la compréhension. Elle peut vraiment être l’interface où se nouent les liens entre le mot écrit et l’évoqué de sens correspondant. N’oublions pas en effet que l’enfant sait déjà faire du sens sur les mots parlés. En partant de ce qu’il sait faire, nous le rassurons.

L’attention à la forme conduit naturellement à faire le lien entre lecture et écriture. Apprendre à lire devrait être en même temps apprendre à écrire. Lorsque le sujet acquiert la capacité de se représenter mentalement les signes et les symboles, il se donne le moyen d’orthographier correctement. De plus, et ceci concerne le développement de son intelligence, sa pensée s’engage dans un processus nouveau, celui de l’abstraction qui lui confère le pouvoir de rompre avec la nécessité du réel au profit d’une traduction symbolique potentiellement plus riche et pourtant plus économique sur le double plan neuronal et conceptuel.

En traitant ainsi du cadre dans lequel se déroule la rééducation, nous avons montré que l’itinéraire d’apprentissage devait admettre des contraintes venant soit du sujet, soit de l’objet d’étude. Nous continuerons donc à travailler en respectant à la fois la gestion mentale de l’élève et la structure du français.

Dès le départ une différence fondamentale s’impose par la nature des évocations. L’enfant visuel n’a aucun mal à mémoriser le graphisme correspondant à un son ou à un mot, mais ne reprenant mentalement aucune forme sonore, l’association entre signe écrit et son émis ne se fait pas.

Pierre n’arrive pas à apprendre à lire, il est installé en face de moi et baisse tristement la tête.

 

- Peux-tu me montrer le mot «voiture»?

Sans hésitation le mot est pointé.

A mon tour je montre en silence le mot -matin-

- Que lis-tu?

Il reste muet

- Comment as-tu fait dans ta tête pour retrouver le premier mot?

- «J’ai vu une voiture dans ma tête et je me suis rappelé qu’hier j’en avais vu une aussi quand mon doigt pointait ce mot voiture — qui commence comme un oiseau V, moi je fais pareil mes oiseaux et puis il y a antenne au milieu (le t!….)

- Et après pour l’autre mot?

- Je voyais dans ma tête l’image du livre mais je ne savais pas quel mot dire.

Qu’est-ce qu’il faut choisir? je n’entendais rien et je ne me disais rien»

(les questions qui permettent d’aboutir à ces réponses sont supprimés pour ne pas alourdir le récit)

A l’inverse Brice, petit auditif, ne retient pas la forme graphique du mot ; par contre il a encore dans la tête l’écho sonore de la voix de la maîtresse. Une autre aurait, s’il est verbal, le son de sa propre voix répétant les propos de la maîtresse.

Elle me dit beaucoup de choses, je l’entends dire dans ma tête: «Papa, maman. voiture, c’est le matin etc… mais je ne sais pas choisir le mot qui dit voiture».

Cet enfant a la tête pleine de sons, de mots entendus, mais cela ne donne pas la capacité de retrouver le mot écrit pour le lire.

La nature des évocations n’est pas seule en cause dans les difficultés d’apprentissage. Les contenus paramétriques, définis plus haut, agissent également pour inhiber ou faciliter la lecture.

Maella en est à son deuxième CP, elle connaît que peu de sons isolés, aussi sa lecture est-elle très personnelle, livrée aux hasard d’une forme, d’associations d’idées, de ses réminiscences de la veille et des mots qu’elle reconnaît globalement.

Elle dit : « l’auto avance vite » pour la voiture roule à vive allure.

La prise d’indices porte sur quelques lettres, la silhouette générale des mots… Bref, sa lecture suit, non texte, mais une image concrète mentale que l’enfant décrit : elle a vraiment dans la tête la séquence d’une voiture qui roule ! Situation très banale où le contenu d’évoqué P1 (images de la réalité quotidienne) donne le sens à l’enfant mais n’autorise pas un déchiffrage correct. Le passage en P2 (reprise mentale des symboles) qui permettrait la reconnaissance précise des signes ne se fait pas.

Les dyslexies analysées en Gestion Mentale constituent un tel éventail qu’il faudrait une étude d’une autre ampleur que celle-ci pour les envisager toutes. Mais les cas de Pierre et de Brice ainsi que celui de la petite Maella sont significatifs de situations fréquemment rencontrées, celles des enfants visuels ou auditifs ne recevant pas les informations dans l’ordre qui leur conviendrait, et qui n’arrivent pas à passer de la réalité aux symboles. Nous allons donc envisager des modes de rééducation possibles pour ce type d’enfants, non sans être conscient de la sélectivité du choix.

Déchiffrer

Les conséquences de cette découverte obligent le thérapeute à suivre un ordre précis : donner aux uns la possibilité de partir d’une évocation visuelle pour y accrocher les sons et aux autres de partir du son pour aller à l’image. Attention ! on ne donne pas obligatoirement du vu à un visuel et de l’entendu à un auditif. Certains aiment partir d’une perception visuelle pour évoquer auditivement et d’autres d’une perception sonore pour évoquer visuellement. Seul le profil pédagogique peut nous renseigner sur cette habitude.

Apprentissage du son «OU»

Le tableau ci-dessous propose deux approches pédagogiques tenant compte des besoins évocatifs quand il y a identité entre le canal sensoriel privilégié et l’évocation qui en résulte.

                 

Dans le prolongement de cette démarche s’instaure un dialogue qui progressivement amène l’enfant par l’introspection à préciser le contenu de ses évoqués et à prendre conscience des procédures mentales qu’il vient d’utiliser. Il peut alors en évaluer l’efficacité et prévoir une généralisation de ces stratégies si elles se sont révélées fructueuses.

Quelques remarques d’ordre général s’imposent après l’exposé précédent.

1. Ce qui est valable pour un son, l’est tout autant d’une syllabe, d’un mot ou d’une phrase. Ce qui compte dans la présentation, c’est de ne jamais donner en même temps à voir et à entendre et donc respecter un ordre de présentation de l’image au son ou du son à l’image. Cet ordre conditionne absolument la réussite de ces enfants qui jusqu’alors n’avaient pu trouver tout seuls, au contraire des autres, les exigences de leur cerveau apprenant.

2. Le souci est permanent de proposer à l’enfant les moyens cognitifs de sa sécurité affective afin de lui rendre sa dynamique d’apprentissage perdue au fil des échecs. Dans ce cadre apparaît la nécessité de donner une référence unique en P1, soit un dessin, soit un geste, une comptine… afin de satisfaire le besoin de réalité de certains apprenants pour les aider à retenir facilement les symboles en P2. Il y a là comme un passage ontologique qui exige d’ancrer des acquisitions « bouleversantes » dans une expérience familière.

Au fil de sa conscientisation, le sujet rentre dans cette dynamique d’apprentissage qui lui permet de rechercher par lui-même les indices qui lui sont favorables, devenant ainsi apte à modifier des habitudes inefficaces.

3. Le contenu de la démarche exposée n’est pas novateur en lui-même ; depuis des décennies de nombreux chercheurs ont exploré d’autres possibles, ce livre d’ailleurs en fait foi. C’est le contenant (déroulement des étapes) qui est novateur en tant que réponse précise à un besoin individuel. La Gestion mentale est à introduire dans les multiples méthodes proposées pour apprendre à lire comme un axe tenant compte à la fois des lois et du fonctionnement du cerveau humain et des particularités du sujet.

Confusions et inversions

Toujours selon le même principe, lorsqu’un enfant fait des confusions de sons, nous partons d’un dialogue pédagogique pour connaître les évoqués sous-jacents qui détiennent la clé du problème.

Kévin confond les sourdes et les sonores. Par l’introspection, il découvre que chaque fois qu’il doit lire p-b, t-d, c-g, il évoque visuellement l’image de l’articulé labial correspondant sans jamais voir ou se répéter ou ré-entendre les sons.

Pauline, elle, se trompe entre p-b-d et dit se tenir le petit discours mental suivant : « a,b c’est le premier, c, d c’est le deuxième, e, f, f, h, i… m, n , o, p c’est le dernier… inutile de s’appesantir sur l’inefficacité d’un tel procédé !

Pour Kevin, le rééducateur peut lui faire évoquer, en plus de l’image - référence de réalité dont on a parlé plus haut, et dans le prolongement du ressenti kinesthésique (main posée sur le larynx), le dessin symbolique attaché à la vibration laryngée ou à son absence. C’est à partir de l’évocation visuelle de l’image du symbole que l’enfant pourra différencier les deux sons. En fin de parcours, pour ne plus confondre, il devra avoir dans sa tête des fiches récapitulatives où il trouvera, disposées verticalement, les consonnes litigieuses appariées et illustrées par l’image référence , celle du symbole vibratoire et de l’articulé.

Pauline doit modifier son discours mental en se donnant des indications plus précises comme : le -b- de bébé avec sa bosse sur le ventre, -d- de dos la bosse dans le dos, -p- de papa la bosse sous le menton. C’est en donnant mentalement des repères verbaux qu’elle arrivera à ne plus confondre.

Le problème des inversions touche, en priorité, les enfants qui gèrent spatialement les lettres composants le son sans souci de leur ordre.

Cécile représente bien cette population ; elle sait que le mot -pain- contient a,i,n, mais est incapable d’en donner la succession temporelle.

Les lettres apparaissent très fugitivement : quand elle écrit le a, le i de son écran mental s’efface déjà au profit du n et elle ne sait plus ce qu’elle doit écrire.

Dans ce cas, il faut l’aider à lutter contre cette fugacité et trouver le moyen de lui faire évoquer un ordre visuellement (par exemple en donnant aux lettres les couleurs familières d’un drapeau : bleu, blanc, rouge) ou un repère attaché à l’une des lettres en général sur le -i- dans les voyelles complexes :

                                                                     

Comme dans l’excellent « Loto des graphies » de Mesdames Buliard et Robin.

La liste des cas à résoudre est longue et ne peut être exploitée davantage dans les limites des ce court article.

Passage du déchiffrage à la lecture

Echange dialectique perception - évocation

Istvan, 8 ans, déchiffre parfaitement mais continu à ânonner : les… prés… et… les… champs…de…blé…

J’arrête là l’épreuve et lui propose l’expérience suivante :

Tu vas regarder les mots du texte pour les mettre rapidement dans ta tête car je vais te les cacher au fur à mesure avec cette languette de papier. Attention ! tu ne pourras lire que lorsque le texte sera caché.

Istvan acquiesce, se prête docilement à la tâche et miracle ( !) lit avec fluidité.

J’arrête de masquer les mots et sa lecture hachée reprend sur le champ…

Rien d’extraordinaire dans ce changement si l’on comprend, par l’intermédiaire du dialogue pédagogique, ce qui se passe dans la tête d’un lecteur.

- Il y a d’abord l’activité perceptive : l’œil doit parcourir un empan plus ou moins long (jusqu’à 40 signes pour un bon lecteur.)

- Cet empan doit être évoqué c’est à dire repris mentalement soit en images ou en un discours intérieur pour être lu avec fluidité. C’est l’évoqué qui est lu et non le perçu. Le débit est ralenti quand le sujet reste en perception de ce qu’il lit. De la même manière , quand nous marchons, nous ralentissons notre allures si nous regardons nos pieds et non le chemin sur lequel nous avançons.

- En fait l’activité perceptive doit se poursuivre pendant que le sujet évoque, mais sur l’empan suivant :

                                                                             

 La rééducation d’Istvan se fera très vite s’il comprend la nécessité de cette dialectique "perception » évocation". Il faudra le faire lire en utilisant une languette -cache manipulée par un adulte. Certains ordinateurs peuvent, avec le logiciel approprié, décomposer un texte en empans s’effaçant à un rythme défini à l’avance.

Il ne faut pas négliger le cas des enfants ayant une mauvaise coordination oculomotrice ; ceux-ci devront, avant de travailler sur leurs habitudes évocatives, suivre une rééducation orthoptique.

Reconnaissance idiéographique

Plus l’enfant se sent sécurisé par les sons devenus familiers, sons qu’il retrouve comme autant d’appuis le long de son chemin, plus vite il peut s’en détacher et trouver dans la silhouette du mot l’idée de ce mot. Ce faisant, un élargissement de l’empan perceptif se produit et la lecture s’améliore. Des livrets, comme ceux de la collection « je lis tout seul » sont précieux pour franchir le passage du déchiffrage syllabique à la reconnaissance idéographique, car de page en page l’enfant y retrouve les mêmes mots, intègre leur silhouette et se met à lire.

Au contraire des idées admises, ce n’est pas parce qu’il lit vite qu’un enfant lit bien, mais parce qu’il lit bien qu’il peut lire vite.

Une lecture se sens.

Qui n’a jamais pris conscience avec effarement qu’il avait lu une page entière sans en avoir saisi le premier iota, et qu’une relecture aboutissait à un résultat identique !

Par l’introspection, on découvre trois explications possibles.

1. Les sujets sont trop fatigués pour dépasser le stade perceptif. Il n’y a pas de compréhension puisqu’il n’y a pas eu d’évocations.

2. Les sujets ont eu des évocations vagabondes à partir d’un ou de plusieurs mos du texte ou de leurs préoccupations du moment. Ce qui leur reste en mémoire est le contenu de ces évocations et non le sens du texte.

3. Les sujets n’avaient pas les références culturelles indispensables et donc les évocations n’ont pas été pertinentes.

Comprendre exige donc le support de l’évocation. Ce n’est que par cette opération mentale que s’établit le lien entre signifiant et signifié. La Gestion mentale montre  que le signifié s’élabore différemment suivant l’appartenance à l’une ou l’autre des familles mentales. Si le signifiant est bien le mot que le sujet lit, pour le visuel le signifié est la reprise mentale du mot écrit ou sa traduction en images de sens, alors que pour l’auditif ou le verbal ce signifié passe par une relecture mentale ou/et par un commentaire.

Ainsi la lecture du mot « jonquille » sera comprise par un « visuel » si l’image mentale d’une jonquille ou celle du mot écrit lui apparaît. L’intuition du sens viendra pour l’auditif s’il reformule le mot jonquille et/ou laisse un discours intérieur se développer : l’éclat d’une couleur, la fraîcheur du printemps…

Ce point de théorie permet déjà d’expliquer pourquoi certains ont une compréhension synthétique à base d’images qui génère de la rapidité, mais aussi parfois une certaine superficialité si le sujet ne prend soin d’affiner ses images par une relecture. Ceux qui doivent reprendre mentalement les mots du texte ou se livrer à des commentaires intérieurs, et on ne saurait les en priver sans dommage, ont une compréhension de type analytique s’appuyant sur des enchaînement de mots tous nécessaires. Si leur lecture en est rendue plus lente, elle acquiert par le fait même, un caractère plus rigoureux à condition qu’ils n’oublient pas de se décrire précisément l’objet.

Demandons-nous à présent comment ces évocations opèrent pour donner le sens.

Annie vient de lire le texte de Giono… les prés et les champs de blé étaient luisants de rosée, mais traversés de longues raies noires d’herbes couchées ;…

- Que s’est-il passé dans ta tête quand tu lisais cette phrase ?

- J’ai vu des prés et des champs.

- C’était en couleurs ?

- Oui, c’était un paysage très vert.

- Tu étais spectatrice de ce paysage ou tu étais dans le paysage ?

- J’étais sur une colline et je regardais les champs, l’air était frais, c’était le matin, il y avait de la brume. J’ai tout vu, d’un seul regard.

- Tu connais déjà ce paysage ou tu l’as intenté ?

- Tu le connais déjà.

- Quand tu as lu… de blé… que s’est-il passé ?

- J’ai mis le blé dans les champs qui sont devenus tout jaunes.

- Et… luisants de rosée… ?

- Je me suis retrouvée au milieu du champ, je regardais les épis de blé et ils brillaient de petites gouttelettes de rosée, je touchais presque les épis. J’ai même vu une goutte de tout près avec ses reflets.

- Et traversés de longues raies d’herbes couchées… ?

- Je mes suis retournée su ma colline, j’ai vu les prés rayés de lignes noires et en « zoomant » des brins d’herbes plaqués sur le sol sont apparus.

Occupons-nous maintenant d’Isabelle qui n’a pas utilisé les même procédures.

- Alors Isabelle à toi maintenant,comment as-tu fait ?

- Je me suis parlé, c’était le son de ma voix que j’entendais dans ma tête. Je me disais : Bon d’accord il y a des prés et puis des champs avec du blé dedans donc c’est en été. Ca doit être le petit matin puisqu’il y a de la rosée qui fait briller l’herbe. Je ressentais l’humidité et un odeur de terre mouillée m’enveloppait. Alors j’ai vu comme un flash un paysage très flou.

- …Mais… traversés…

- J’ai relu dans ma tête… mais traversés de longues raies noires… qu’est-ce qui est traversé de longues raies ? Ah oui les près et les champs…. Donc ils sont coupés par des traits noirs.. D’herbes couchées… Bon l’herbe a été couchée, qui mais par qui ?

Quand je lis, je me pose des questions et j’essaie d’y répondre. Souvent je récapitule ce que j’ai compris. Je me répète avec plaisir certains mots ou phrases.

A l’évidence, Annie et Isabelle sont bien entrées dans le sens du texte. Mais pour quelles raisons ?

L’observation de leurs procédures mentales montre la richesse des évocations développées sur le texte lu, évocations de natures différentes mais tout aussi efficaces. Pour comprendre, elles ont fabriqué des images mentales visuelles ou sonores en référence à leur expérience ou à leurs acquis culturels. C’est à partir des comparaisons implicites entre la représentation du perçu et les évocations s’y rapportant que les rapports de sens leur sont apparus. Il est possible d’identifier ce qui s’est passé au cours de ces comparaisons. Annie sélectionne en priorité des indices spatiaux qui lui permettent d’avoir une vision globale de la situation : ainsi dans le tableau mental qu’elle construit, elle place au fur et à mesure de sa lecture les éléments du paysage dans ses dimensions, ses formes, ses couleurs etc. Isabelle privilégie analytiquement ce qui est ressenti, mouvement, déroulement des actions et questionnement sur elles. Elle place ces informations dans un déroulement temporel (d’abord -puis- alors…). De cette texture d’indices s’extraient les rapports logiques, soit commentés soit vus, d’où jaillit l’intuition de sens.

Aussi pouvons-nous dire maintenant que la compréhension naît de la confrontation de l’objet perçu à l’évocation qu’on s’en est donnée, avec un souci constant de sélectionner les indices pertinents, jusqu’à ce qu’apparaissent à la conscience des rapports logiques d’identité (différence-similitude), de sériation (spatio-temporelle), d’appartenance (inclusion-exclusion).

Comprendre n’est pas un don du ciel réservé aux élus. Cela s’apprend en respectant les lois du fonctionnement mental de chacun. Il est frappant de constater le soulagement produit par cette découverte et la rapidité des changements qui s’opèrent pour certains lorsqu’ils disposent enfin des moyens de leur compréhension.

La démarche de rééducation est à l’image de ce qui précède. Si l’apprentissage technique se fait sur des sons, des syllabes, des mots, la lecture compréhensive se travaille dans les livres « pour de vrai » afin qu’en échappant à ‘l’exercice purement scolaire l’enfant y découvre la puissance de l’écrit à travers ses émotions, son plaisir, son intérêt… Les textes seront choisis, non seulement pour l’intérêt que l’enfant peut y trouver, mais aussi pour ses qualités littéraires, qualités si propices à la créations de représentations mentales parcourant tous les champs sensoriels, émotionnels et conceptuels. En fait le nouveau lecteur doit découvrir la vie dans ce qui n’était que signes inanimés, incompréhensibles, voire hostiles.

Concrètement :

- Mettre le sujet en PROJET de comprendre.

- Donner le texte à lire (PERCEPTION).

- Faire gérer ce texte (EVOCATION).

- Faire des VA et VIENT entre le perçu et l’évoqué.

Sur cette stratégie générale se grefferont les moyens spécifiques liés aux habitudes évocatrices de chacun.

 

- Pour les uns – ceux qui ont besoin d’un cadre spatial - faire évoquer en priorité l’image qu’installent les noms, les adjectifs et les déterminants porteurs d’espace pour rendre possible la gestion des verbes conjugués, des adverbes et des mots de liaisons porteurs de temporalité.

- Pour les autres -  ceux qui gèrent la temporalité - partir de l’évocation chronologique des actions, des relations de cause à effet, pour terminer par la description précise des informations spatiales données par les noms et leurs auxiliaires déterminants et adjectifs qualificatifs. Entraîner le sujet à se poser des questions ou à se commenter le texte. Attacher une importance particulière aux adverbes et aux petits mots de liaison tels que les conjonctions, les prépositions et les pronoms relatifs, très souvent négligés et qui pourtant sous-tendent bon nombre de rapports logiques.

- Accompagner la progression du sujet d’un questionnement introspectif pour qu’il prenne conscience de ce qu’il fait dans sa tête quand il comprend, afin de lui permettre de généraliser ses procédures efficaces. Inciter le à compléter ses procédures habituelles par des images s’il ne fait que se parler mentalement ou par un discours intérieur s’il ne se donne que des images.

Echange dialectique perception - évocation et compréhension.

Il est habituel d’entendre dire : « lire, c’est anticiper ». Analyser cette affirmation en Gestion mentale, c’est rechercher plus précisément où se situe l’anticipation au cours du cheminement perception- évocation.

Si on se réfère au texte concernant la dialectique perception- évocation du point ci-dessus, le dialogue pédagogique fait apparaître :

1. La perception précède toujours l’évocation

2. L’évocation se fera dans le prolongement du perçu et la « vraie » lecture sera alors lecture de cette évocation.

3. Les informations intégrées au fur et à mesure de la lecture (sens, syntaxe, lexique), ouvrent des champs sémantiques qui permettent l’accélération de la prise d’indices dans l’empan perceptif suivant. La lecture devient ainsi de plus en plus efficace.

4. L’intuition de champs sémantiques ne peut-être « devinette » des mots à venir.

Ne serait-il pas présomptueux de croire que nous sommes capables d’anticiper les mots de Victor Hugo, de balzac ou de Piaget !… Cette intuition a pour rôle d’être une aide au choix des indices de sens dans la mesure où elle semble amener dans un « préconscient » les mots susceptibles de figurer dans la séquence en cours de lecture. Il y a attente de… mais non anticipation.

 

CONCLUSION

La Gestion mentale apporte-t-elle aux thérapeutes des moyens originaux et efficaces pour lutter contre la dyslexie ?

Oui par la mise en œuvre des moyens mentaux de la réussite par chacun de ces enfants en difficulté crée habituellement les conditions de leurs progrès. Nous sommes là au point de jonction de règles communes touchant au fonctionnement cérébral humain et d’exigences spécifiques liées à une individualité cognitive.

Le mode d’accompagnement ainsi crée débouche obligatoirement sur une acceptation totale du droit à la différence pour chacun de ces enfants souvent malmenés par un environnement pédagogique inadapté parce que standard. Ils sont comme allergiques, au sens médical du terme, à une pédagogique classique et en grand risque tomber vraiment malades si on continue à les nourrir indûment. La Gestion mentale considère ces comportements inadaptés non pas comme signes d’une « anormalité » à redresser mais comme effets secondaires d’une « normalité » qui par ailleurs peut s’exprimer brillamment. Le fil conducteur du rééducateur est justement de valoriser les ressources mentales que l’enfant révèle dans l’ensemble de sa vie.

Au sein des théories cognitives, la Gestion mentale comme support de rééducation représente une véritable phénoménologie au service de l’apprentissage. Pour autant il n’est pas question de renoncer à d’autres approches mais de reconnaître en plus la valeur de l’introspection. Avec elle, le sujet en difficulté acquiert la conscience d’agir lui même sur les conditions de sa réussite.